Plusieurs livres pour enfants dont la lecture repose sur l’utilisation de filtres colorés sont parus ces dernières années, dont les livres « Illumin » illustrés par le collectif d'artistes Carnovsky. En regardant ces livres à travers des filtres rouge, vert ou bleu, le lecteur peut voir trois images différentes sur une même page. Comment cela est-il possible ? C’est ce que nous vous expliquons dans cet article.
Trois images en une !
Revenons pour commencer sur le protocole d’utilisation de ces livres. Chaque livre est vendu avec une bande cartonnée qui
comprend trois fenêtres permettant de regarder les pages à travers des filtres rouge, vert ou bleu. En regardant par exemple la page de couverture d’« Illuminatlas » à travers le filtre rouge, on
voit, en noir sur fond rouge, des « merveilles culturelles ». En regardant cette même page à travers le filtre vert, on
voit en noir sur fond vert des cartes géographiques. Et en la regardant à travers le filtre bleu, on voit en noir sur fond bleu des « merveilles naturelles » (animaux, etc.). On note que la
qualité des images obtenues est inégale d’un filtre à l’autre : le filtre rouge donne une image lumineuse et bien définie, alors que le filtre bleu donne une image très sombre et dans laquelle
d’autres motifs que ceux des « merveilles naturelles » sont aussi visibles. Nous reviendrons sur ces différences de rendu. Les images qui sont présentées ci-dessous sont des photographies prises
à travers les filtres, et qui ne reproduisent que partiellement ce que l’on voit « en vrai » (par exemple, la teinte rose visible sur une partie de l'image associée au filtre bleu ne se voit
pas « en vrai », nous discutons son origine plus loin).
Quelles couleurs sont imprimées sur les pages du livre ?
Afin de comprendre le principe de fonctionnement de ces livres, il est intéressant d’identifier les couleurs qui sont effectivement présentes sur les pages. Au premier abord, cela semble difficile car les motifs sont souvent imbriqués à petite échelle. Mais une observation attentive, notamment en bordure des zones blanches où les textes sont écrits, montre que ces couleurs sont au nombres de 8 et pas plus : il y a le blanc (là où rien n’est imprimé sur la page), le jaune, le cyan, le magenta, le vert, le rouge, le bleu (nous appelons bleu, comme dans tout notre site 123couleurs, une couleur relativement foncée, proche du violet) et le noir.
L’utilisation d’un microscope numérique permet de préciser cette observation :
Ces observations démontrent que, sur chacune des pages, trois images différentes sont en réalité imprimées, respectivement avec des encres jaune, cyan et magenta. Conformément aux règles de la synthèse soustractive des couleurs, là où les encres jaune et cyan se superposent (c’est-à-dire là où les images jaune et cyan se superposent) on obtient du vert ; là où les encres magenta et jaune se superposent, on obtient du rouge ; là où les encres cyan et magenta se superposent on obtient du bleu ; et là où les trois images se superposent on obtient du noir. Notons que le noir semble obtenu avec de l’encre noire, et non par une superposition des encres jaune, cyan et magenta. On retrouve ici le principe de reproduction des couleurs sur supports imprimés par la technique de quadrichromie, principe discuté sur notre page « Les supports imprimés à la loupe ».
Pourquoi les filtres colorés rouge, vert et bleu permettent de visualiser les images imprimées ?
Qu’est-ce qui fait que quand nous regardons avec un des filtres rouge, vert ou bleu, ces trois images cyan, magenta et jaune, imprimées et partiellement superposées, nous arrivons à ne voir qu’une seule image à la fois ? Pour le comprendre il faut revenir aux propriétés optiques des encres et des filtres colorés.
Pour simplifier, nous supposerons dans un premier temps que les encres fonctionnent en tout ou rien, avec une absorption ou une transmission totale des composantes colorées de la lumière incidente. Une feuille blanche renvoie toutes les composantes colorées de la lumière, et donc les parties bleue, verte et rouge du spectre. Les encres cyan, magenta et jaune, à l’image des spectres de transmission des filtres colorés montrés ici (filtres EDUC 123couleurs), absorbent respectivement les parties rouge (au-delà de 580 nm), verte (entre 480 et 580 nm) et bleue (en deçà de 480 nm) du spectre. Une feuille blanche couverte par l'une de ces encres ne réfléchira donc que les parties du spectre que les encres n’auront pas absorbé. De leur côté, les filtres colorés rouge, vert et bleu utilisés pour regarder les pages du livre, à l’image des spectres de transmissions des filtres montrés ici, absorbent tout le spectre sauf la partie correspondant à leur couleur.
Un filtre rouge ne transmet donc que la partie rouge du spectre. Les zones de la page couvertes avec de l’encre cyan (qui absorbe la partie rouge du spectre) sont ainsi vues noires à travers le filtre rouge (aucune lumière ne traverse le filtre), alors que les zones blanches ou couvertes avec les encres magenta et/ou jaune sont vues rouges (toutes ces zones réfléchissent la partie rouge du spectre). De même, un filtre vert ne transmet que la partie verte du spectre. Les zones de la page couvertes avec de l’encre magenta (qui absorbe la partie verte du spectre) sont vues noires, alors que les zones blanches ou couvertes avec les encres jaune et/ou cyan sont vues vertes. Enfin, un filtre bleu ne transmet que la partie bleue du spectre. Les zones de la page couvertes avec de l’encre jaune (qui absorbe la partie bleue du spectre) sont vues noires, alors que les zones blanches ou couvertes avec les encres magenta et/ou cyan sont vues bleues. On retrouve ici les règles de transformation que nous avons déjà discutées dans le cas où un objet coloré est éclairé par une lumière colorée.
Vue à travers un filtre rouge, l’image cyan apparait donc noire, alors que les images jaune et magenta deviennent rouges donc disparaissent dans le fond blanc, devenu rouge aussi : elle est ainsi « révélée » par le filtre. De même l’image magenta est révélée par le filtre vert (elle est vue noire alors que les images jaune et cyan disparaissent en vert sur fond vert), et l’image jaune par le filtre bleu (elle est vue noire alors que les images magenta et cyan disparaissent en rouge sur fond rouge). Ces couples encre révélée / filtre sont ceux des couleurs complémentaires : cyan / rouge, magenta / vert et jaune / bleu.
On peut retrouver les propriétés optiques des encres cyan, magenta et jaune en prenant une photo numérique de la page (la photo a ici été prise au microscope numérique) et en décomposant l’image obtenue en canaux de lumière « rouge », « vert » et « bleu » à l’aide d’un logiciel comme GIMP (libre). Les zones couvertes par l’encre cyan sont bien celles pour lesquelles la composante rouge est absente (parties noires de l’image associée au canal « rouge »), les zones couvertes par l’encre magenta celles où la composante verte est absente, et les zones couvertes par l’encre jaune celles où la composante bleue est absente. Mais on voit également sur les images associées aux canaux « rouge », « vert » et « bleu » que, si les encres absorbent une partie bien définie du spectre, elles ne réfléchissent pas toujours les autres parties aussi fortement que la feuille blanche. En effet, sur l’image associée au canal « rouge », on peut remarquer que les zones couvertes avec les encres jaune et magenta affichent le même niveau de rouge que les parties non couvertes d’encre : ces encres réfléchissent donc presque à 100% la composante rouge (on retrouve cette propriété sur les spectres des filtres colorés correspondant). Par contre, sur l’image associée au canal « vert », la zone couverte d’encre cyan apparait plus foncée que la zone couverte d’encre jaune ou la zone non couverte d’encre : l’encre cyan réfléchit notablement moins la composante verte du spectre que la feuille blanche. Idem sur l’image associée au canal « bleu », sur laquelle la zone couverte d’encre magenta est plus foncée que la partie couverte d’encre cyan ou non couverte : l’encre magenta ne réfléchit que partiellement la composante bleue de la lumière.
Cela signifie qu’en pratique, quand on regardera les pages du livre à travers le filtre coloré « vert », l’image cyan s’ajoutera (faiblement) à l’image magenta et dégradera la qualité du rendu. Il en sera de même avec le filtre coloré « bleu » pour lequel l’image magenta s’ajoutera (faiblement) à l’image jaune. Ce problème s’observe clairement dans l’exemple du livre « Illuminatlas ». À travers le filtre rouge, seule l’image des éléments culturels (imprimée à l’encre cyan) est visible, les images de la cartographie et des merveilles naturelles (imprimées respectivement avec les encres magenta et jaune) se confondant presque parfaitement avec les parties blanches de la feuille (elles sont vues avec le même niveau de rouge). Par contre à travers le filtre vert, l’image de la cartographie (imprimée à l’encre magenta) domine mais l’image des éléments culturels (imprimée à l’encre cyan) est aussi (un peu) visible. Et à travers le filtre bleu, l’image des merveilles naturelles (imprimée à l’encre jaune) domine mais l’image de la cartographie (imprimée à l’encre magenta) est aussi (un peu) visible (on devine même l’image des éléments culturels imprimée à l’encre cyan).
Le choix des filtres colorés et de la source d’éclairage
Les propriétés optiques des filtres colorés rouge, vert et bleu sont déterminantes pour pouvoir obtenir des images contrastées et bien séparées. Tout d’abord, pour
que les images imprimées avec les encres cyan, magenta ou jaune deviennent noires à travers un filtre coloré, il faut que ce filtre absorbe le plus parfaitement possible toutes les parties du
spectre qui n’ont pas été absorbées par l’encre à laquelle ils sont associés. La gamme des longueurs d’onde transmises par les filtres colorés doit ainsi se limiter strictement à la gamme des
longueurs d’onde absorbées par les encres associées. Ensuite, il faut que le pourcentage de transmission des filtres dans cette gamme restreinte de transmission soit le plus élevé possible, afin
que toutes les zones de la page non couvertes par l’encre associée soient les plus lumineuses possibles. Le contraste de luminosité entre l’image (noire) et le fond (de la couleur du filtre :
rouge, vert ou bleu) sera alors maximum. Dans le cas des filtres rouges (pour révéler l’image cyan), il en existe qui sont à la fois très sélectifs en longueur d’onde et très lumineux : les
filtres Rouge SELECT vendus sur notre boutique en ligne ont un coefficient de transmission qui
dépasse 60 % au-delà de 650 nm et qui est quasi-nul en deçà de 580 nm. Dans le cas des filtres verts (pour révéler l’image magenta) et bleus (pour révéler l’image jaune), ceux dont les gammes de
transmission sont suffisamment restreintes sont aussi sensiblement moins lumineux : les filtres Verts SELECT et les filtres Bleus ILLUMIN vendus sur notre boutique en ligne (que nous avons spécialement sélectionnés pour voir les images de type « Illumin ») ont des coefficients de transmission qui ne dépassent pas 40 %. En comparant
les spectres de différents filtres bleus, on peut voir que les filtres Bleus ILLUMIN ont un coefficient de transmission supérieur à celui du filtre bleu fourni avec le livre (tout en restant très sélectifs), ce qui améliore le contraste de luminosité des images. On notera
également que la transmission dans la partie rouge du spectre devient significative au-delà de 680 nm pour le filtre bleu fourni avec le livre, ce qui explique la teinte rose qui apparaît au
centre de la photo prise ici avec un smartphone (mais qu'on ne voit pas « en vrai » : les capteurs du smartphone sont apparemment plus sensibles au rouge
lointain que nos yeux !).
Pour les filtres colorés bleus (associés à l’image jaune), cette faible transmission peut devenir critique, sachant qu’en plus la sensibilité spectrale de l’œil
humain est faible dans la partie bleue du spectre. Si les pages du livre sont éclairées par une source de lumière pauvre en lumière bleue, comme une ampoule à incandescence ou à LED « blanc chaud
», le fond bleu devient tellement sombre qu’on ne distingue plus l’image. Le caractère très sombre du filtre bleu est d’ailleurs une critique récurrente des livres « Illumin » sur les avis
internet. Le mode d’emploi de ces livres devrait donc préciser qu’ils doivent être lus à la lumière du jour ou avec une ampoule à LED « blanc froid » ou « blanc neutre », suffisamment riche en
lumière bleue.
Pour poursuivre le voyage....
Maintenant que les aspects scientifiques des livres "Illumin" n'ont plus de secrets pour vous, nous vous invitons à poursuivre le voyage coloré en admirant les nombreuses réalisations du projet RGB porté par le collectif d'artistes Carnovsky.