Parmi les propriétés de la lumière, certaines sont accessibles à nos sens : c’est le cas de son intensité (une lumière peut être perçue plus ou moins brillante) et
de sa composition spectrale (reliée à la couleur perçue par notre système visuel). Ce n’est
pas le cas de sa polarisation, c’est pourquoi cette propriété ne nous est généralement pas familière.
Pourtant elle a aujourd’hui beaucoup d’applications courantes : la plupart de nos écrans lumineux, certaines lunettes de soleil, le cinéma « 3D » utilisent la
polarisation de la lumière car elle permet, à l’aide de filtres spécifiques éventuellement actionnables par une tension électrique, de moduler l’intensité lumineuse ou de faire apparaître des couleurs.
Qu'est-ce que la polarisation ?
Dans la page d’explication sur la nature de la lumière, nous avons présenté la lumière comme une onde électromagnétique, c’est-à-dire la vibration conjointe d’un champ électrique et magnétique se propageant dans l’espace dans la direction du rayon lumineux. La fréquence de cette vibration (et donc sa longueur d’onde) est liée à la couleur de la lumière. La direction dans laquelle vibre le champ électrique est précisément ce qui caractérise la polarisation.
Les champs électrique et magnétique de l’onde lumineuse peuvent vibrer dans toute direction perpendiculaire à la direction de propagation de la lumière (on dit que la lumière est une onde transverse). Cette direction de vibration n’est donc pas unique, un peu comme pour ce ruban qu’on peut faire vibrer à une extrémité par un mouvement de la main, de haut en bas, mais aussi dans une direction quelconque, ou faire tourner, dans un sens ou dans l’autre.
Si la direction de vibration est fixe on parle de polarisation rectiligne. Si elle tourne on parle de polarisation circulaire, voire elliptique.
Notons qu’il n’y a pas de polarisation pour le son, qui est une onde (de pression) longitudinale : elle n’a qu’une seule direction de vibration possible, celle dans laquelle le son se propage.
Les lumières autour de nous sont-elles polarisées ?
Seuls les lasers peuvent émettre dès la source une lumière conservant une polarisation bien déterminée pendant un temps assez long permettant son observation. Les
autres sources de lumière comme le Soleil et toutes les lampes d’éclairage émettent des ondes dont la polarisation change très vite, de façon aléatoire dans toutes les directions. Pour cette
raison on les appelle « incohérentes ».
Certains phénomènes peuvent toutefois rendre ces lumières polarisées : c’est le cas de la réflexion en incidence oblique sur une surface lisse, par exemple la
surface de l’eau ou d’une vitre, ou encore la diffusion de la lumière sur le côté par des
particules de petite taille devant la longueur d’onde, comme c’est le cas pour un ciel bien bleu. Vous trouverez à la fin de cette page une explication de ces phénomènes.
Mais comment peut-on savoir si une lumière est polarisée ou non puisque nos yeux, contrairement à ceux des abeilles par exemple, ne sont pas sensibles à cette propriété ? Il faut disposer pour cela d’un filtre dit polarisant (boutique). Comme le décrit cette page d’expérience, la lumière polarisée réagira de façon particulière à travers un tel filtre.
Comment fonctionnent les filtres polarisants ?
De la même façon que les filtres colorés ne laissent passer que certaines
composantes colorées de la lumière, les filtres polarisants ne laissent passer que la composante de la lumière qui a une certaine polarisation, par exemple rectiligne dans une certaine
direction.
Ces filtres sont généralement constitués d’un film plastique contenant des molécules en forme de bâtonnets, tous orientés dans la même direction. Si une onde
lumineuse traverse le filtre avec son champ électrique dans la direction des molécules, des électrons sont mis en mouvement dans ces molécules et les courants électriques ainsi créés dissipent de
l’énergie (un peu comme un courant électrique dans une résistance : ça chauffe !). Cette énergie étant prélevée à l’onde lumineuse, celle-ci perd de l’intensité : elle est absorbée par le filtre.
En revanche si le champ électrique de l’onde lumineuse incidente est perpendiculaire à la direction des molécules, le mouvement des électrons est très limité et l’onde lumineuse est transmise
presque sans atténuation. Ces filtres transmettent donc une onde polarisée dans une direction fixe : on les appelle des filtres polarisants rectilignes (ou linéaires).
Cette explication pourrait laisser penser que la lumière ne peut traverser le filtre que si elle est initialement polarisée dans une direction précise (la direction perpendiculaire aux molécules, représentée en rouge dans le schéma ci-dessus). Ce n’est pas le cas car la vibration est celle d’un champ électrique (et d’un champ magnétique), qui a une structure de « vecteur » : une vibration qui arrive en biais (représentée en bleu dans le schéma ci-dessous) par rapport à la direction de transmission du filtre peut être décomposée en une vibration parallèle (en rouge ci-dessous, transmise) et une vibration perpendiculaire (en vert ci-dessous, absorbée) à cette direction. L’onde traverse alors partiellement le filtre, sauf si sa vibration est orientée au départ dans la direction perpendiculaire à la direction de transmission du filtre.
Quelques applications des filtres polarisants
A la lumière du jour ces filtres sont gris, ce qui signifie qu’ils absorbent une partie de la lumière ambiante. En effet celle-ci vibre dans toutes les directions possibles, donc tout autant dans la direction de transmission du filtre (cette composante de la lumière le traverse) que dans la direction perpendiculaire (cette composante est absorbée).
Ces filtres peuvent se reconnaître par le fait que si on les superpose on peut obtenir l’obscurité en les tournant l’un par rapport à l’autre : la lumière ambiante, une fois polarisée dans la direction de transmission du premier filtre, ne peut pas traverser le second si sa direction de transmission est orientée perpendiculairement à celle du premier !
Les lunettes de glacier ou pour les pêcheurs contiennent souvent des filtres polarisants rectilignes dont la direction de transmission est verticale. En effet les reflets sur l’eau ou la glace sont polarisés, au moins en partie, parallèlement à la surface réfléchissante (voir l’explication bonus en bas de cette page) donc le plus souvent horizontalement. Ainsi le pêcheur pourra voir un poisson au fond de l’eau sans être gêné par les reflets de la lumière sur l’eau.
Les photographes utilisent aussi parfois ces filtres pour réduire les reflets ou une lumière diffuse, ou pour augmenter le contraste d’un ciel nuageux. En effet la lumière diffusée par le bleu du ciel, contrairement à celle diffusée par les nuages, est polarisée (voir l’explication bonus). Un filtre polarisant permet donc d’assombrir d’avantage le ciel que les nuages, plus facilement qu’avec un traitement numérique sur logiciel photo.
Les filtres polarisants des lunettes de cinéma 3D sont un peu différents : ils ne laissent passer que la lumière dont la polarisation tourne dans un certain sens (polarisation circulaire gauche ou droite, selon qu’il s’agit du verre destiné à l’œil gauche ou droit). Ces filtres permettent ainsi d’envoyer vers chacun de nos deux yeux une seule des deux images projetées sur l’écran, car leurs polarisations ne tournent pas dans le même sens. Ainsi chaque œil voit une image un peu différente, ce qui génère l’impression de relief. On peut vérifier au cinéma que l’image vue à travers ces lunettes ne change pas si on incline la tête : l’orientation des filtres des lunettes n’importe pas, ce qui prouve que ce ne sont pas des filtres polarisants rectilignes.
Mais l’application de la polarisation que vous utilisez le plus souvent est sans doute l’écran à cristaux liquides (ou LCD, Liquid Crystal Display) de vos smartphones, ordinateurs ou télévisions. Les cristaux liquides sont des matériaux composés de molécules que l’on peut orienter en appliquant une tension électrique, et dont l’orientation modifie la polarisation de la lumière qui les traverse. En plaçant des cristaux liquides entre deux filtres polarisants, il est ainsi possible de commander électriquement le passage ou non de la lumière à travers, et donc d’allumer ou d’éteindre chaque pixel d’un écran.
Comment a-t-on découvert la polarisation de la lumière ?
C’est le physicien Malus qui l’a découverte en 1808 et lui a donné son nom, en faisant une expérience utilisant un cristal de Spath. Ces cristaux présentent la particularité de séparer dans l’espace les rayons lumineux qui les traversent en deux parties selon leur direction de polarisation par rapport aux axes cristallographiques. On voit donc double à travers et ils sont pour cette raison appelés « biréfringents » (vous pouvez en voir dans certains muséums d’Histoire naturelle). Malus a remarqué qu’on pouvait faire disparaître le reflet du Soleil sur une vitre en l’observant à travers ce type de cristal correctement orienté, ce qui l’a amené à penser que toutes les directions orthogonales au rayon lumineux ne sont pas équivalentes pour la lumière. Il a fait le lien avec la réflexion sur la vitre, qui polarise la lumière dans la direction parallèle à sa surface. À l’époque le caractère ondulatoire de la lumière n’était pas encore admis, et on ne lui associait pas encore une vibration transverse dans une certaine direction, donc on ne pouvait pas encore comprendre pourquoi la lumière réagissait différemment en fonction de l’orientation du cristal. C’est Thomas Young qui a suggéré quelques années plus tard que cet effet est dû au caractère transverse de la vibration lumineuse.
Explication bonus : pourquoi les surfaces lisses et la diffusion polarisent la lumière naturelle ?
L’explication géométrique de ces deux phénomènes tient dans le fait que, quand une onde lumineuse interagit avec la matière, elle génère des "antennes" qui
rayonnent tout autour d’elles sauf dans leur propre direction.
Le schéma suivant illustre le cas de la polarisation par diffusion, dans la situation particulière où un observateur vise une particule à 90° de la direction de la
source lumineuse qui l’éclaire. On considère ici par exemple que la source, la particule et l’observateur sont dans un plan horizontal. On peut décomposer le champ électrique de l’onde lumineuse
incidente en une composante vibrant dans la direction horizontale (donc dans le plan contenant la source, la particule et l’observateur) et une composante vibrant dans la direction verticale
(orthogonale à ce plan). Chaque composante de ce champ électrique est susceptible d’induire dans sa direction des oscillations de certains électrons de la particule, qui se comportent alors comme
deux antennes orientées dans les directions horizontale et verticale. Chacune de ces antennes rayonne à son tour une onde lumineuse : c'est la lumière diffusée. Or on peut démontrer que
perpendiculairement à l'antenne, l'onde lumineuse rayonnée est d'intensité maximale et polarisée dans la direction de l'antenne, alors que dans la direction de l'antenne, l'intensité rayonnée est
nulle. L’antenne horizontale ne rayonne donc pas dans la direction de notre observateur, au contraire de l’antenne verticale : l’observateur reçoit une onde polarisée verticalement. Plus
généralement, si un observateur vise une zone diffusante à 90° la direction d’une source lumineuse, il reçoit une lumière polarisée perpendiculairement au plan contenant la source lumineuse, la
particule diffusante et l’observateur.
Cette anisotropie de la polarisation par diffusion s’observe assez facilement quand on regarde un ciel bien bleu à travers un filtre polarisant : si on regarde une zone à 90° du Soleil, on peut en orientant convenablement le filtre assombrir très fortement le bleu du ciel. Cet effet est très faible si on a le Soleil dans le dos. Les abeilles, dont le système visuel est sensible à la direction de vibration de l’onde lumineuse, utiliseraient cette anisotropie de la polarisation du ciel pour s’orienter.
Le même type de raisonnement permet d’expliquer la polarisation de la lumière par réflexion sur une surface lisse : lorsqu’un rayon lumineux arrive sur une vitre ou
sur la surface de l’eau, elle est en partie réfléchie et en partie transmise dans le verre ou l’eau. Les rayons lumineux transmis et réfléchi partent dans des directions dépendant de celle du
rayon incident. Pour un angle d’incidence particulier, qu’on appelle l’angle de Brewster, il y a une petite bizarrerie géométrique qui n’est pas sans conséquence : le rayon réfléchi se trouve
être perpendiculaire au rayon transmis. Nous allons voir que cela provoque la polarisation de l’onde lumineuse réfléchie.
Si on considère que l’onde réfléchie est due à l’émission de lumière par les "antennes" induites dans le second milieu (verre, eau) par l’onde transmise, on
comprend que la composante de la lumière vibrant dans le plan de la photo ci-dessous (direction de vibration représentée en vert) ne peut pas induire de lumière émise dans la direction du rayon
réfléchi puisque c’est justement la direction des antennes. L’onde lumineuse réfléchie est donc polarisée dans la direction perpendiculaire au plan de la photo, c’est à dire parallèle à la
surface réfléchissante (direction de vibration représentée par le rond bleu).
Si ce phénomène explique une polarisation forte pour cet angle d’incidence particulier, la polarisation reste toutefois sensible pour des incidences pas trop éloignées de cet angle (elle est en revanche inexistante pour un reflet vu de face).