Les couleurs des objets qui nous entourent sont le plus souvent dues à la présence de pigments ou de colorants qui absorbent une partie des couleurs « lumières » pures ou composantes spectrales présentes dans la lumière qui les éclaire. On parle dans ce cas de couleurs chimiques car la couleur dépend de la nature chimique du pigment ou du colorant.
Les couleurs de diffusion dont nous allons parler ici ont une origine différente, de nature physique : la lumière interagit avec la matière en fonction de la taille des particules qui la composent, de sorte que certaines composantes spectrales se retrouvent plus fortement diffusées que d’autres sans qu’il y ait absorption. Nous discuterons en détails le cas emblématique de la couleur bleue du ciel (et de la couleur jaune-orangée du Soleil à son coucher et à son lever) avant d’évoquer plus rapidement d’autres exemples.
Pourquoi le ciel est bleu ?
Quand le Soleil est suffisamment haut au-dessus de l’horizon, un ciel sans nuages et sans poussières est bleu, mais pourquoi ?
Pour commencer, précisons de quel bleu nous parlons. Si nous mesurons la composition spectrale de la lumière venant d’un ciel bleu (ici avec un spectromètre utilisant un réseau de diffraction) nous pouvons constater que ce qu’on désigne comme du « bleu » contient en réalité toutes les couleurs de l’arc-en-ciel, avec cependant un excès dans la zone des courtes longueurs d’onde (bleu et violet). Ce mélange est vu « bleu » par notre système visuel (on parle d’un bleu non saturé).
Mais d'où vient cette lumière bleue ? Forcément du Soleil puisque la nuit le ciel est noir, ce qui pose deux problèmes :
La diffusion Rayleigh
Pour comprendre l’origine de la couleur bleue du ciel, il faut étudier comment les particules de l’atmosphère se comportent quand elles reçoivent la lumière solaire. Si une particule est plus petite que la longueur d’onde de la lumière qui l’éclaire, alors elle diffuse cette lumière c’est-à-dire qu’elle la renvoie plus ou moins dans toutes les directions. Mais cette diffusion ne se fait pas avec la même efficacité pour toutes les longueurs d’onde. Par analogie avec des vagues qui rencontrent un obstacle, on peut s’attendre intuitivement à ce que la lumière soit plus fortement diffusée si sa longueur d’onde n’est pas trop grande par rapport à la taille de la particule.
John William Strutt, plus connu sous le nom de Lord Rayleigh, fut le premier en 1871 à quantifier cette dépendance. Il montra qu’une particule au moins dix fois plus petite que la longueur d’onde de la lumière diffuse cette lumière avec une intensité inversement proportionnelle à sa longueur d’onde à la puissance 4. Autrement dit, une longueur d’onde 2 fois plus courte (donc 2 fois plus proche de la taille de la particule) sera diffusée 24 = 16 fois plus efficacement. Éclairée par la lumière du Soleil, une telle particule va donc diffuser beaucoup plus efficacement les composantes spectrales de courtes longueurs d’onde : entre le rouge de longueur d’onde 650 nanomètres (nm) et le bleu de longueur d’onde 450 nm, l’efficacité de la diffusion augmente d’un facteur (650 nm/450 nm)4 ≃ 4. Par ailleurs, la répartition de la lumière diffusée n'est pas la même dans toute les directions : par rapport à la direction incidente de la lumière, elle est plus faible sur les côtés que vers l'avant ou vers l'arrière (voir le schéma ci-dessous). On justifie aujourd’hui rigoureusement cette loi en calculant les interactions entre le champ électromagnétique qui constitue la lumière et les charges électriques de la matière.
Cette loi permit d’expliquer quantitativement la différence entre le spectre du Soleil et celui du ciel bleu. Mais on ne comprit que plus tard que ces petites particules qui diffusent la lumière sont les molécules de diazote et de dioxygène qui composent l’atmosphère (quand Lord Rayleigh proposa sa théorie, les molécules et les atomes n’étaient encore qu’une hypothèse dont l’existence n’avait pas été démontrée par l’expérience). En 1908, Mie généralisa le résultat de Rayleigh et montra en particulier que cette forte dépendance de l’efficacité de la diffusion avec la longueur d’onde disparaît quand la taille des particules devient proche de la longueur d’onde de la lumière, donc de l’ordre du micromètre (dans ce cas, la lumière du Soleil reste blanche une fois diffusée : c’est ce qu’il se passe pour les gouttelettes d’eau dans les nuages). Les molécules de diazote et de dioxygène ont des tailles de l’ordre du 1/10ème de nanomètre : elles sont presque 10 000 fois plus petites que les longueurs d’onde de la lumière visible, elles correspondent donc bien au modèle de diffusion établi par Rayleigh.
Remarque : la présence de molécules dans un milieu transparent n’induit pas nécessairement une diffusion de lumière aux courtes longueurs d’onde. Pour que les intensités diffusées par chaque molécule se cumulent, il faut qu’il reste des fluctuations notables de la densité du milieu à l’échelle de la longueur d’onde de la lumière, donc à l’échelle du micromètre. C’est le cas pour un gaz peu dense comme l’atmosphère terrestre, mais pas pour des liquides ou des solides transparents, où la lumière diffusée par l’ensemble des molécules ou des atomes qui les compose est très faible.
Quel rapport avec la couleur du Soleil à son coucher ?
La couleur jaune-orangée du Soleil à son coucher (et à son lever !) s’explique par le même mécanisme. Au fur et à mesure que le Soleil s’abaisse vers l’horizon, les rayons qui parviennent directement jusqu’à nous sans être diffusés doivent traverser une épaisseur d’atmosphère croissante (de 8 km lorsque le Soleil est au zénith jusqu’à plusieurs dizaines de km juste avant son coucher sur l’horizon). En raison de la diffusion Rayleigh, les composantes spectrales de courtes longueurs d’onde sont préférentiellement diffusées. La lumière qui nous parvient quand on regarde directement vers le Soleil s’appauvrit donc en violet et en bleu, et s’enrichit ainsi relativement en orange et rouge. Nous voyons le Soleil devenir jaune (lumière blanche dans laquelle les composantes bleues et violettes sont réduites) puis jaune-orangé (si la diffusion est plus forte, la composante verte est également réduite de façon significative).
C’est ce qu’on peut voir sur le spectre du Soleil mesuré à son coucher : son maximum d’intensité ne se situe plus dans le vert mais dans la zone de l’orange, l’intensité étant considérablement réduite aux courtes longueurs d’onde. Pour la même raison, le bleu n’est plus visible dans un arc-en-ciel observé au coucher ou au lever du Soleil.
Pour arriver à la couleur rouge que l’on voit parfois, la diffusion par les molécules de diazote et de dioxygène ne suffit pas : la présence dans l’atmosphère de particules plus grandes (aérosols, poussières, etc.) est nécessaire. De tels couchers de Soleil ne s’observent d’ailleurs pas par temps clair. Le rayon vert que l’on peut voir (rarement !) juste avant le lever ou le coucher du Soleil s’explique lui par la conjonction de deux phénomènes différents : la diffusion Rayleigh et de la réfraction (effet de mirage) par l’atmosphère.
Les bleus du ciel
De nombreuses nuances de couleurs s’observent en réalité dans le ciel, y compris par temps clair. Par exemple, quand le Soleil est suffisamment haut on peut voir un blanchiment du ciel près de l’horizon et un bleuissement de plus en plus pâle des plans d’un paysage de plus en plus éloignés. Ce principe est utilisé en peinture pour donner par la couleur l’illusion de profondeur. Ces effets s’expliquent aussi par la diffusion de la lumière du Soleil par les molécules qui composent l’atmosphère :
Une description plus complète (en anglais) de ces phénomènes colorés et des mécanismes qui en sont la cause peut être consultée ici.
L'atmosphère, une condition nécessaire...
On ne peut bien sûr pas « enlever » l’atmosphère de la Terre pour montrer que c’est bien elle qui explique la couleur orangée de nos levers et couchers de Soleil, ainsi que le bleu du ciel. Mais les photos prises depuis la station internationale (image de gauche) et sur la Lune (image de droite) montrent bien que sans atmosphère le ciel est noir même en plein jour, et que les levers et couchers de Soleil sont blancs.
...mais pas suffisante !
À l’inverse, la présence d’une atmosphère ne garantit pas un ciel bleu. Comme le montre cette image, le ciel sur Mars est souvent jaune. Cette coloration est due à l’absorption des composantes bleues du spectre par des oxydes de fer en suspension dans l’atmosphère de Mars. Le bleu du ciel doit donc être vu comme une spécificité de l’atmosphère terrestre et de ses propriétés : épaisseur, densité, teneur en poussière et aérosols, absence d’éléments chimiques suffisamment absorbant dans le visible, etc. On notera au passage que nous ne pouvons « voir » les ciels extraterrestres que par l’intermédiaire des images transmises par des sondes ou des robots, images dont les couleurs sont elles-mêmes transformées pour se rapprocher le plus possible de ce qu’on « verrait en vrai avec nos yeux ». Il faut donc toujours les interpréter avec une certaine prudence.
Autres exemples de couleurs de diffusion
Les couleurs de diffusion ne se limitent pas au ciel : on pourra observer une coloration bleue de la lumière diffusée à chaque fois que des particules ayant une taille inférieure à la longueur d’onde de la lumière (donc plus petite qu’environ 1 micromètre) sont en suspension dans un liquide ou un gaz. C’est ce qui se produit par exemple quand on verse quelques gouttes de lait écrémé dans de l’eau : la caséine du lait forme des particules sphériques (appelées micelles) d’environ 0,1 micromètre de diamètre, qui diffusent préférentiellement la composante bleue de la lumière. C’est aussi ce qui explique la couleur bleue de la fumée de cigarette. En revanche si les particules en suspension deviennent trop grandes par rapport à la longueur d’onde de la lumière, donc plus grandes que 1 micromètre, toutes les composantes spectrales sont diffusées avec la même intensité et la coloration bleue disparaît : c’est pour cela que la plupart des nuages ou des fumées sont blancs (ou gris si la lumière est moins intense).
Autre exemple de couleur de diffusion : la couleur des yeux bleus. Le seul pigment présent dans le stroma de l’iris est la mélanine, qui donne quand il est présent en quantité suffisante une coloration brune aux yeux. En effet la mélanine absorbe largement dans tout le spectre visible mais plus fortement les courtes longueurs d’onde, pouvant ainsi donner à l’iris une couleur sombre à dominante orange-rouge. Chez les personnes ayant les yeux bleus, la mélanine est quasi-absente du stroma, qui devient un milieu transparent. Mais comme il est inhomogène à l’échelle de la longueur d’onde de la lumière, il est le siège d’une diffusion préférentielle de la lumière bleue. Chez les personnes qui ont les yeux verts, la quantité de mélanine est un peu plus importante donc la couleur de l’iris résulte d’un compromis entre la diffusion par les inhomogénéités du stroma, qui favorise les courtes longueurs d’onde, et l’absorption par la mélanine, qui favorise les grandes longueurs d’onde, pouvant produire au final une dominante verte ou noisette.
Remarquons pour finir que la couleur bleue par absorption est peu courante dans la nature : les colorants naturels des végétaux ou des animaux (mélanine, chlorophylle, caroténoïdes,…) ne sont pas bleus. La couleur bleue est donc le plus souvent créée par diffusion !