Vous avez certainement déjà observé l’existence de couleurs changeantes à la surface des bulles de savon, dans les reflets de la lumière. Ces couleurs sont dues à des phénomènes d’interférences, qui renforcent certaines composantes spectrales de la lumière réfléchie par un film mince. Dans cette page d’expériences, nous vous proposons de réaliser un dispositif permettant d’observer plus précisément ces couleurs. Nous verrons que leur analyse permet d’en comprendre l’origine et d’en déduire des informations sur le film de savon qui leur a donné naissance. Nous terminerons par d’autres exemples de dispositifs permettant d’observer des couleurs du même type.
Matériel
Protocole
Remarque : plutôt que de regarder le film directement à l’œil (ou avec un appareil photo), il peut être intéressant de projeter son image sur un écran. C’est plus confortable pour une observation collective, mais cela demande du matériel spécifique (lampe avec condenseur, lentille de projection), qu’on trouve par exemple dans les laboratoires de travaux pratiques au lycée ou à l’université. Notez qu’avec ce type de projection, l’image sur l’écran est renversée par rapport à l’objet : le haut du film de savon apparaîtra en bas sur son image. Cette vidéo (après 4 minutes) donne des conseils pour réaliser le montage optique.
Observations
Lorsque le film de savon vient d’être réalisé, il est possible que sa surface paraisse entièrement blanche. Si vous attendez un peu en le tenant à la verticale,
vous devriez voir apparaître, d’abord par le haut du film puis sur l’ensemble de sa surface, des lignes colorées horizontales (vous pouvez vérifier qu’elles le restent si vous faites tourner le
cadre dans son plan). Ces lignes sont plus écartées les unes des autres et de couleurs plus saturées dans le haut du film. Elles se déplacent peu à peu vers le bas, comme le liquide qui coule
sous l’effet de la gravité. Si on attend assez longtemps, le film de savon devient noir dans sa partie haute, il claque en général peu de temps après.
D'où viennent ces couleurs ?
Alors que le liquide savonneux utilisé est (quasi) transparent et la lumière incidente blanche, la lumière réfléchie par le film de savon est colorée. Différentes
couleurs sont visibles (orange, jaune, bleue), qui évoluent dans le temps. Ces couleurs ne sont donc pas liées comme habituellement à la présence d’un colorant.
Une observation attentive montre que la palette de couleurs obtenues ici n’est pas celle de l’arc-en-ciel, puisqu’en particulier on observe la couleur extra-spectrale magenta : on n’a donc pas
affaire ici à une décomposition spectrale de la lumière comme dans un prisme.
Une certaine succession de couleurs (jaune, orange, magenta, violet, bleu, cyan, vert, …) semble se répéter, de moins en moins saturée vers le bas du film de savon.
Comment l’expliquer ?
En y réfléchissant, on comprend que ce qui change entre le haut et le bas du film de savon, ainsi qu’entre le film au début et après un certain temps, c'est son épaisseur. Au début le film
apparaît blanc, alors qu’il est le plus épais. Juste avant d’éclater il est noir, alors qu’il est très fin. Entre ces deux situations, on observe une succession de couleurs de plus en plus
saturées, dans le temps ou de bas en haut, c’est-à-dire alors que l’épaisseur du film de savon est de plus en plus faible. On sent bien qu’il y a un lien direct entre l’épaisseur du film de savon
et la couleur de la lumière qu’il renvoie.
Comment expliquer le lien entre couleurs et épaisseur ?
L’origine des couleurs interférentielles est discutée en détails dans notre page d’explications. Pour résumer, on peut dire que des interférences se produisent lors de la superposition des ondes lumineuses qui se réfléchissent sur la face avant du film de savon, avec celles qui se réfléchissent sur sa face arrière. Les secondes se superposent aux premières après avoir fait un aller-retour dans le film, donc avec un certain retard, dépendant de l’épaisseur du film et de la vitesse à laquelle la lumière s’y déplace.
Suivant la valeur du rapport entre l’épaisseur du film et la longueur d’onde de la lumière, ces interférences peuvent renforcer le reflet (on parle d’interférences constructives) ou au contraire l’atténuer (interférences destructives). Certaines composantes spectrales sont donc plus fortement réfléchies que d’autres, ce qui crée une couleur (voir notre page d'explications sur la vision des couleurs), caractéristique de l’épaisseur du film de savon.
Plus l’épaisseur du film est grande, par rapport à la longueur d’onde de la lumière, plus il y a de composantes spectrales différentes renforcées ou atténuées dans la gamme visible. Le spectre de la lumière est modifié mais aucune composante spectrale dominante n’est sélectionnée, la teinte est donc pâle. Pour que la teinte interférentielle soit sensible à l’œil, l’épaisseur du film ne doit pas dépasser quelques microns
Si le film est suffisamment mince pour que les interférences atténuent essentiellement une gamme spectrale dans le domaine visible, la couleur interférentielle est très saturée. C’est le cas pour des épaisseurs de l’ordre de la longueur d’onde de la lumière visible, donc inférieure au micromètre.
Si le film a une épaisseur très inférieure à la longueur d’onde de la lumière, il se trouve que les interférences sont destructives en réflexion pour toute longueur d’onde (pour une raison qu’il serait difficile à exposer ici, la première onde subit un retournement lors de sa réflexion sur l'interface air / eau savonneuse, ce qui n'est pas le cas pour la seconde) : la surface du film apparaît noire, comme s’il n’y avait pas de film pour réfléchir la lumière.
Un film de savon vertical permet facilement d’étudier le lien entre couleur interférentielle et épaisseur, car son épaisseur diminue de bas en haut du fait de la gravité, mais aussi au cours du temps du fait de l’écoulement du liquide :
Comment utiliser ces couleurs pour faire des mesures d'épaisseur ?
Puisque les couleurs interférentielles sont caractéristiques de l’épaisseur du film mince, on peut les utiliser pour obtenir des informations quantitatives sur cette épaisseur. En laboratoire, cela se fait à l’aide d’un appareil permettant d’analyser les composantes spectrales de la lumière : un spectromètre (voir notre page d’explications pour des exemples de mesures avec cet appareil). Nous vous proposons ici d’utiliser un appareil photo numérique, qui permet d’obtenir des informations spectrales plus grossières, dans les gammes du rouge, du vert ou du bleu.
À l’aide d’un logiciel de retouche d’image (par exemple avec ImageJ : menu « image » - « color » - « split chanels ») on a séparé les 3 couches RVB d’une photo
numérique de notre film de savon, pour ne garder par exemple que la couche V, montrée ici en niveaux de gris sur la moitié droite du film. Vous pouvez aussi isoler grossièrement une gamme
spectrale en prenant la photo à travers un filtre coloré rouge, vert ou bleu (voir notre boutique).
Les lignes en gris clair correspondent aux zones où les interférences sont constructives (lumière renforcée), celles qui sont sombres
correspondent aux interférences destructives (lumière atténuée), pour la longueur d’onde choisie, ici environ 550 nanomètres ou encore 0,55 micron (couleur verte). On peut vérifier que les zones
de couleur magenta (complémentaire du vert) sur l’image de départ correspondent bien aux lignes sombres obtenues en ne gardant que la composante verte. L’apparition de couleurs interférentielles
est donc bien due à l’atténuation, par interférences destructives, de certaines longueurs d’onde dans le spectre de la lumière réfléchie.
D’une ligne sombre à la suivante (par exemple de la zone A à B, ou B à C, … indiquées sur la photo) le décalage entre une onde réfléchie par la première ou la
seconde interface du film de savon, varie d’une longueur d’onde (c’est la périodicité du phénomène d’interférences). Puisque ce décalage est dû à l’aller-retour dans le film de savon (donc au
double de son épaisseur), on peut en déduire que l’épaisseur du film a varié entre ces deux zones d’environ la moitié d’une longueur d’onde. Pour l’application numérique, il faut tenir compte du
fait que la longueur d’onde de la lumière verte, proche de 550 nm dans l’air, est environ 1,33 fois plus courte dans l’eau savonneuse, car la lumière s’y propage environ 1,33 fois moins vite. On
en déduit que l’épaisseur du flm varie approximativement de 200 nanomètres, soit 0,2 microns, entre deux lignes noires.
Les franges d’interférence indiquent le relief du film de la même manière que les courbes de niveau d’une carte géographique indiquent le relief topographique, mais à une échelle beaucoup plus
faible : sur une carte géographique le dénivelé entre deux courbes de niveau est par exemple de 10 m, ici il est de 200 nm, soit 50 millions de fois plus faible ! On entrevoit donc la possibilité
d’obtenir des mesures très précises grâce aux couleurs interférentielles.
Sur quels autres dispositifs peut-on observer des couleurs interférentielles ?
Les couleurs interférentielles s’observent par réflexion de la lumière du soleil (ou d’une lampe) sur une fine lame transparente, dont l’épaisseur doit être comparable à la longueur d’onde de la lumière, donc typiquement de l’ordre du micron. D’autres dispositifs que le film de savon permettent d’en obtenir :
Des couleurs interférentielles fortuites ?
Maintenant que vous connaissez ce phénomène, vous saurez sans doute le remarquer dans des situations bien éloignées d’un laboratoire scientifique. Par exemple en nettoyant vos vitres en plein soleil : le produit pulvérisé sur la vitre et étalé au chiffon forme une fine couche, qui s’amincit dans le temps en s’évaporant, donnant des couleurs interférentielles éphémères. Ou comme ici au fond d’une casserole sortie du lave-vaisselle : à la surface de l’inox se forme une fine couche d’oxyde de chrome, dont l’épaisseur augmente lorsqu’elle est chauffée. Cet effet est d’ailleurs utilisé en architecture, pour donner des reflets colorés aux surfaces métalliques.